Les Cuma, 80 ans de progrès humain et collectif

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Nous vous proposons une plongée dans l’histoire des Cuma à travers un texte de 1960, témoin d’une époque où la modernisation agricole s’accompagnait d’un profond idéal social.

presse densite 1960

Ce discours, prononcé par un certain M. Latouche, un président de fédération départementale, mêle foi dans le progrès, solidarité paysanne et dignité du travail collectif. Et s’il date d’il y a plus de soixante ans, nombre de ses principes et de ses valeurs résonnent encore aujourd’hui.


Relire ce texte de 1960, c’est remonter aux origines du mouvement et découvrir la philosophie fondatrice des Cuma : unir les hommes, partager les moyens, et avancer ensemble vers le progrès technique et humain.

Les Cuma sont d’abord présentées comme un outil pour « suivre le progrès », c’est-à-dire accéder à la mécanisation et aux machines modernes, mais aussi comme un levier d’émancipation et de solidarité. L’esprit « villageois », l’entraide et la dignité par le travail collectif en forment le cœur.

Certains passages, pourtant écrits il y a 65 ans, pourraient être repris presque mot pour mot aujourd’hui, tant la force du collectif reste au centre de la vie des Cuma.

Mais ce texte porte aussi les traces de son temps. La « libération des femmes » y est perçue sous un angle domestique : le progrès technique « soulage » les femmes sans encore leur reconnaître un rôle agricole, économique ou décisionnel. Une vision datée, bien sûr, mais qui rappelle combien le progrès social est, lui aussi, une œuvre collective et en constante évolution.

Texte issu du bulletin de la Fédération nationale des Cuma – Informations techniques et administratives N°6 – Mars-Avril 1960

« LE ROLE HUMAIN DE LA C.U.M.A.

A l’occasion d’une journée de formation de Cadres qui s’est déroulée à Angoulême, le Président de la Fédération départementale des C.U.M.A., M. Latouche, a fait, en guise de conclusion, l’exposé que nous sommes heureux de reproduire ici, car il résume les objectifs principaux de notre action dans le domaine social :

À l’issue d’une telle journée, après des heures d’attention et de travail, après les excellents orateurs qui m’ont précédé, vouloir vous retenir par une causerie supplémentaire paraît un non-sens et cela d’autant plus que j’ai à vous entretenir de questions abstraites.

Cependant, le rôle social et humain des C.U.M.A. a une telle importance, que le tour d’horizon que nous avons fait ensemble ne serait pas complet si nous n’abordions pas cet aspect du problème.

Je pense que ma tâche sera facilitée par le fait que ceux d’entre vous qui ont déjà des responsabilités dans des C.U.M.A., ont déjà été amenés à considérer cet aspect de la question et ceux qui croient à la possibilité de créer des C.U.M.A. ont déjà dû y penser.

Il n’est que de regarder autour de vous pour constater les réalisations faites en matière d’équipement résultant du progrès en marche. Pour les agriculteurs comme pour les autres, il faut marcher avec ce progrès ou être écrasés par lui.

Depuis quelques années, aucun agriculteur éclairé ne conteste la nécessité du progrès technique qui ne peut maintenant se concevoir sans motorisation. Considérez un jeune cultivateur pénétré de ces nécessités mais qui se rend compte qu’il ne lui est pas possible de se procurer ce matériel parce qu’il n’a pas les capitaux importants qui lui seraient nécessaires et aussi parce qu’il sait qu’il ne pourra pas amortir ces capitaux sur son exploitation. Va-t-il continuer, sachant bien qu’il n’arrivera jamais à ce stade de mécanisation qui lui permettrait d’utiliser à plein ses connaissances techniques ?

presse densite 1960
Presse à moyenne densité, photo issue du même bulletin d’information de mars-avril 1960

Il est presque certain qu’il se découragera, laissant là sa ferme dont les bâtiments tomberont bientôt en ruines et qu’il partira souvent vers l’aventure, vers d’autres métiers qu’il ignore. Il y a de fortes chances pour qu’il ne fasse qu’un déraciné ayant conscience de toujours végéter. Ce sera un aigri, accusant la société et les hommes de son manque de réussite. Multipliez ce cas par plusieurs milliers chaque année et vous aurez tout de suite une des conséquences sociales de cette désertion des campagnes qui, dans une certaine mesure, pourrait être freinée par la création de C.U.M.A. Qu’en pense l’Etat ? A-t-il fait tout ce qu’il devait faire dans ce sens en aidant les C.U.M.A. ?

PROMOTION HUMAINE

L’achat et l’utilisation en commun de matériel permet à beaucoup d’exploitants d’accéder à un mode de culture ou à un stade de progrès technique auquel ils n’auraient pas pu atteindre sans cela. La C.U.M.A. permet donc une certaine promotion humaine qui, comme nous le verrons par la suite, s’accentue et amène l’épanouissement de l’homme. Cela aussi est très important.

LIBÉRATION DE TEMPS

Ce matériel doit aussi nous permettre de nous libérer partiellement de certains travaux très longs et très pénibles, d’en effectuer certains autres beaucoup plus rapidement et dans de meilleures conditions : d’où libération de temps… Temps qui nous permettra de nous instruire, de nous documenter, de nous occuper de nos organisations agricoles, de notre défense professionnelle; ou tout simplement de prendre quelques loisirs : d’aller à la chasse ou à la pêche de temps à autre ; ou bien encore de nous consacrer davantage à notre foyer, à notre famille. Et là il serait intéressant d’avoir le point de vue féminin… mais vous le connaissez

LIBéRATION DE MAIN-D’ŒUVRE

Il n’est point besoin d’allonger cet exposé pour vous démontrer que le matériel est libérateur de main-d’œuvre. De ce fait, il permettra aux femmes et aux jeunes filles de ne plus avoir à faire ces travaux d’hommes, ces travaux harassants qui venaient s’ajouter à leurs tâches -habituelles ! Elles pourront se consacrer davantage à la basse-cour, à la porcherie, à l’étable, mais aussi à leur maison, à leur foyer qui deviendra ainsi plus accueillant, plus attachant et où s’épanouiront leurs qualités féminines.

LIBÉRATION DE CAPITAUX

Ce que je viens de dire sera d’autant plus vrai que l’achat en commun de matériel permettra, dans bien des cas, de libérer quelques capitaux qui étaient primitivement destinés à l’achat individuel de ce même matériel. Ces capitaux pourront évidemment être employés d’une façon plus immédiatement rentable (augmentation du cheptel, achat d’engrais supplémentaire, etc.), mais ils pourront aussi aider au confort de la maison, à sa modernisation, à son embellissement.

Tracteur Renault Super 108
Tracteur Renault Super 108, photo issue du même bulletin d’information de mars-avril 1960

UNIR LES HOMMES

J’en arrive à un autre aspect de la question qui, à mon sens, est un des plus  importants : une C.U.M.A. qui réussit doit, au bout de très peu de temps, amener une amélioration du milieu humain où elle a été créée, en unissant les hommes, en leur permettant d’aborder ensemble des pro­blèmes nouveaux, en leur ouvrant de nouveaux horizons.

La C.U.M.A. constitue une communauté d’intérêts, bientôt chacun prend conscience d’être propriétaire du matériel acheté. Il a fallu se réunir pour créer la société, en étudier les statuts, mettre au point Je règlement intérieur. Il a fallu choisir le matériel, en étudier le financement, l’acheter. Que de réunions, que de paroles échangées l Maintenant le matériel est là, chacun a hâte de l’employer ; d’ailleurs, il faut en tirer parti· au maximum ! Si c’est du matériel de récolte, il faut aussi profiter au maximum du temps favorable. Conséquence : il faut faire rendre à ce matériel le maximum pendant une période ou un temps donné et pour cela il faut créer les équipes nécessaires à son service. S’il s’agit de foins il faut couper, faner, andainer, botteler et rentrer les bottes. S’il s’agit de moissonnage-battage, il faut aussi rentrer le grain, rentrer la paille et déchaumer rapidement. On en arrive à l’entr’aide nécessaire et au travail en commun.

Après toutes ces réunions, après des semaines de travail côte à côte, je vous assure qu’il existe entre ces hommes des courants d’idées, des liens bien différents de ceux qu’on noue au cours de simples parties de belotte !

Il suffit alors d’une occasion, d’une étincelle, pour que s’expriment les possibilités qu’ils ont en eux, les sentiments qui les animent.

C’est ainsi que spontanément tout un village va aider un voisin dans la peine ou rentrer les foins d’un appelé en Algérie. Dernièrement, une personne d’un proche département me disait avoir créé une C.U.M.A. avec ses voisins. Un jour, à la suite d’arrangements ou de difficultés de famille, il lui fallait sortir une très forte somme pour conserver l’exploitation familiale ; n’ayant pas les disponibilités nécessaires, elle envisageait de renoncer à ce bien de famille et de partir… Alors, spontanément, les voisins lui dirent : « Nous sommes maintenant habitués à travailler ensemble, nous ne pouvons pas nous passer de vous, vous ne pouvez pas partir ! Pierre peut disposer de telle somme, Jacques de telle autre, Paul… et ainsi de suite ; utilisez-les, vous nous les rendrez quand vous pourrez. »

Cette personne pleurait en me relatant ces faits et elle me disait : « Cela n’a été rendu possible que grâce à nos multiples contacts,- grâce à l’esprit d’entr’aide qui eurent leurs origines dans notre C.U.M.A. »

Ainsi, le milieu devient plus perméable à des idées nouvelles, les esprits s’ouvrent sur de nouvelles possibilités. Des réalisations jugées hier impossibles deviennent relativement faciles et on continue…  C’est cela le vrai progrès, celui qui améliore les hommes en même temps que leurs conditions de vie et qui aide à leur épanouissement en leur redonnant leur place dans la société et cela dans la vraie liberté.

Mais alors, me direz-vous, qu’attendons-nous pour créer des C.U.M.A. partout ? Voilà le remède à tous nos maux !

Maintenant, c’est le Président de la Fédération des C.U.M.A. qui parle. Certes je crois aux C.U.M. A., j’ai foi dans les C.U.M.A., mais je dois vous dire : attention ! la C.U.M.A. n’est pas une bonne fée avec sa baguette magique, elle n’est pas non plus une panacée !

Si elle facilite l’équipement, elle ne supprime pas pour autant la disparité entre les prix indus­ triels et les prix agricoles. L’emploi du matériel acheté en C.U.M.A. n’est pas gratuit ; il est parfois fort cher même, car là il faut tenir compte de l’amortissement.

La C.U.M.A. ne peut transformer les hommes au point de les rendre bons quand ils sont mauvais. Il ne faut donc pas se leurrer l

Il ne faut pas créer des C.U.M.A. pour faire des C.U.M.A. Elles doivent correspondre à une nécessité ou à un besoin. Leur importance dépendra du travail et du matériel envisagé ; je crois qu’il faut éviter, d’une façon générale, les C.U.M.A. trop importantes.

L’essentiel est de réunir des hommes qui soient en majorité animés si possible d’une même foi, épris d’un même idéal. Les différences de superficie des exploitations n’ont pas une grande importance, mais il faut en tenir compte dans la souscription du capital social. Il faut que les dirigeants de la C.U.M.A. soient de véritables animateurs.

S’il est nécessaire de tenir une comptabilité très exacte, il ne faut pas prétendre tout chiffrer, tout compter, tout mesurer; une bonne volonté totale et réciproque est de rigueur mais ne se traduit pas en chiffres.

Enfin, quels que soient les impératifs, je crois qu’il est nécessaire de ne jamais perdre de vue qu’il faut se servir du matériel au maximum, mais qu’il ne faut jamais en être les esclaves. Chacun de ces principes ou de ces réserves mériterait d’avoir un plus largement développement. Mais je ne voudrais surtout pas vous faire croire que laeréation d’une C.U.M.A. comporte des responsabilités hors de proportions avec vos possibilités ; la

C.U.M.A. doit, au contraire, rester à l’échelle humaine et c’est précisément ce qui donne à ce genre de coopération un intérêt tout particulier.

On a constaté ces derniers jours que les régions agricoles les plus évoluées techniquement, celles qui sont les plus équipées, connaissent de graves difficultés en raison même de l’importance des investissements  en  matériel.

Au moment où, dans les milieux gouvernementaux et même professionnels, il est question de réformes de structure pour notre agriculture, au moment où on introduit dans nos exploitations ce critère nouveau : l’efficacité, je crois plus que jamais qu’il faut avoir recours à. la formule C.U.M.A. A chaque fois que cela est possible.

C’est un des très rares moyens à notre disposition pour nous permettre de suivre le progrès, de nous équiper afin de lutter pour la vie de nos exploitations familiales tout en progressant sur le plan social et humain. »